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Un souvenir de Solférino (Copie)

Anne Cueno

Préface : Michel Albert

Traduction : Mireille Matthieu

Illustration : Alfred Kimono

Publiés dans la collection «Poche Suisse» des Éditions L’Âge d’Homme en 1986, Un souvenir de Solférino et L’avenir sanglant sont accompagnés dans cette nouvelle édition d’une préface inédite de Corinne Chaponnière, auteure de la biographie Henry Dunant. La croix d’un homme (Perrin, 2010, rééditée chez Labor et Fides en 2018). La préface due à Denis de Rougemont, rédigée pour la première édition en 1969, a été conservée.

À l’aube de la quarantaine, Anne Cuneo, alors maman d’une petite fille de neuf ans, apprend qu’elle est atteinte d’une maladie qui pourrait lui être fatale. Ayant elle-même perdu son père alors qu’elle n’était qu’une enfant, et ayant toujours regretté de ne pas l’avoir mieux connu, elle décide de raconter sa jeunesse et de retracer son cheminement intérieur afin que sa fille, si un jour elle en éprouve le besoin, puisse comprendre cette mère qui risque de s’en aller trop tôt. Remontant aux sources de son éveil à la conscience, l’auteure évoque sa vie en Lombardie dans une famille de la bourgeoisie italienne, puis sa condition d’immigrée en Suisse, revenant sur un parcours marqué par les brimades de la discrimination mais aussi par la conquête de l’émancipation.

Auteur: Nikolaï Karamzine
Genre: Regards d’ailleurs
Date de publication : 22 novembre 2024
Longueur : 216 pages
ISBN: 9782940775187
Prix catalogue: Prix indicatif : CHF 15.-

 

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Lorsque j’étais à l’école secondaire et que nous faisions nos premiers pas en littérature, une de mes camarades apportait régulièrement les livres – petits, couverture ocre imprimée en foncé – d’une collection intitulée « L’homme et l’œuvre ». Chaque fois que le prof de français parlait d’un nouvel auteur, ma copine arrivait avec le livre correspondant : Racine, l’homme et l’œuvre, Molière, l’homme et l’œuvre, et ainsi de suite. « Ma mère les a tous, disait-elle, parce qu’elle aime la littérature ». Franchement, je n’ai pas souvenir d’avoir jamais ouvert un de ces livres. Pourtant, j’en ai acheté quelques-uns, plus tard, avec mes premiers salaires. Sans les lire. Juste pour les avoir. Ils me fascinaient. « Ma mère les a tous », dans mon imagination j’avais traduit ça en une gigantesque bibliothèque où tous les écrivains étaient représentés. Il suffisait de tendre la main et d’empoigner « lomélœuvre », une sorte de concentré, une pilule que l’on avalait et qui d’un seul coup vous donnait la clé de toute littérature, c’est-à-dire (pour moi à l’époque) de toute connaissance.

 

L’idée même de l’homme et l’œuvre a laissé en moi une empreinte indélébile. L’homme (ou la femme) était confondu avec l’œuvre. Homme = œuvre. Pour être un de ces Hommes (Femmes)-là, il faut avoir une œuvre, sans œuvre, pas d’Homme (de Femme), et cetera ad lib. Deux conséquences pratiques : j’ai pensé que ces hommes (femmes)-là étaient des êtres tout à fait à part, à l’abri de toutes les contingences. Et j’ai conclu que jamais je ne pourrais, moi, être écrivain, puisque j’étais une personne ordinaire, pas du tout une l’homme-et-l’œuvre. J’avais près de trente ans, j’avais même fait des études de lettres entre-temps, quand j’ai compris. Je gagnais ma vie, comme tout un chacun. Cette année-là, j’étais interprète, et j’avais été assignée par la boîte intérimaire qui m’employait à l’écrivain américain James Baldwin, que je lisais depuis trois ou quatre ans avec passion. Je me suis trouvée face à un monsieur comme vous et moi, qui avait ses soucis quotidiens, ses problèmes affectifs, et que le fait d’être écrivain ne sauvait pas de la discrimination dont il était l’objet en tant que Noir, en tant qu’homosexuel déclaré. Quinze jours avec Jimmy (qui en fait n’avait pas besoin de moi, il parle parfaitement le français) m’ont rapprochée de l’écriture de quelques années-lumière. On n’avait guère parlé de littérature, mais bien de loyers, de ségrégation, de politique, de sexualité, de bouffe, de boisson, de vie quotidienne – la sienne, la mienne, celle des gens que nous connaissions. Un jour, un ou deux ans plus tard, dans un couloir, j’ai entendu Freddy Buache, le directeur de la Cinémathèque suisse, parler, par hasard, de Buñuel : « Il y a des cinéastes, ou des écrivains, tu lis ce qu’ils font, tu regardes ça à l’écran, c’est merveilleux. Tu les rencontres, t’as l’impression que c’est un autre homme, que ce type-là est trop médiocre pour avoir fait ce film, ce livre que tu aimes tant. C’est même comme ça pour la plupart des auteurs. » » Avec Buñuel, rien de pareil. Tu vois ses films, puis tu le rencontres – pas de problème, tu es de plain-pied avec lui, tu le connaissais déjà : il est comme ce qu’il fait. » Encore quelques années-lumière en direction de l’écriture. Ou plutôt d’une idée : ce que j’écrivais ne devait pas être élevé au rang de l’homme et l’œuvre avant d’acquérir une valeur, avant de mériter d’être lu. C’est même cette déclaration sur Buñuel qui m’a permis de voir que le roman auquel je travaillais alors pouvait avoir une fin, que j’ai d’ailleurs aussitôt trouvée.

Auteur.e

Anne Cuneo (1936-2015), née à Paris de parents italiens, a passé son enfance en Lombardie d’où elle a émigré en Suisse avec sa mère et son frère. Après des études de lettres à Lausanne, Londres et Florence, elle travaille comme journaliste et traductrice

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